Le bout du tunnel
Ils s’en souviendront de cette 10e édition de la Transquadra Madère Martinique ! Deux fronts froids sur un parcours tropical, il faut avouer que ce n’est pas banal… Cette deuxième semaine de course devrait cependant permettre aux coureurs de faire enfin sécher leurs cirés.
(photo Gérard Quenot et Jérôme Apolda – Blue Skies)
Le gros de la flotte est en passe de contourner la zone de basses pressions qui glisse maintenant vers le sud-ouest. Une bien mauvaise nouvelle d’ailleurs pour Caroline Petit et Emmanuelle Blivet (Moogli), car ce tourbillon dépressionnaire poursuit son inévitable aspiration des alizés, générant des calmes persistants sur la route sud…
Course de vitesse
Pour la majorité de la flotte en revanche, l’ascension de ces fronts dépressionnaires se termine. Fini le remonte pente, ils vont pouvoir bientôt glisser tout schuss vers l’arc antillais. Le soleil devrait faire son grand retour, la houle se ranger, la brise se caler au nord-est puis à l’est en se renforçant.
Plus de casse-tête stratégique pour cette deuxième partie de transat, place à un long sprint de vitesse entre nordistes et partisans de la route médiane, tout en composant avec les spis restants (il y aurait pas mal de voiles déchirées semble-t-il) et la fatigue, inévitable, après cette première semaine de course éprouvante.
Qui des extrémistes ou des modérés ?
A 1300 milles du but, une intéressante course est engagée, chez les doubles Atlantique entre Noël Racine/Ludovic Sénéchal (Foggy Dew) très nord avec plus de 90 milles d’avance sur la paire Bernard Mallaret/Denis Infante (Eurovoiles) qui ont fait un jolie cuiller par le nord ces jours-ci pour revenir dans le top trois, et le duo Gérard Quenot/Jérôme Apolda (Blue Skies) en pointe des partisans de la route médiane depuis le début.
Le duo de Foggy Dew a un beau matelas d’avance, ils vont vite, au bon endroit… mais les écarts latéraux sont conséquents et la route encore longue, comme on dit.
Collés-serrés, les Méditerranéens
Le match est serré depuis le début au sein de la flotte Méditerranéenne. Après 9 jours de course, le top 5 se tient en 25 petits milles ! Les frères Lacombe (Bidibulle) mènent la danse depuis 3 jours, talonnés par Bruno Maerteen/Olivier Guillerot (Shamrock V) à moins de 2 milles et les italiens Isidoro Santecca/Roberto Rovito (Alquimia)à 18 milles.
La flotte est restée groupée, mis à part deux partisans de la première heure d’une route directe.
Là aussi, une intéressante course de vitesse et de rating est lancée pour cette grande descente vers Le Marin !
1 fauteuil pour 9 ?
Chez les solitaires, Alex Ozon (Sapristi), en tête depuis le départ de Madère, partisan, après le premier front, d’une route nord-modérée est finalement parti contrôler ses menaçants camarades de l’extrême nord : Pierrick Penven (Zéphyrin) et Paolo Mangione (Ciao Ciao).
Ce trio-là devance d’une 20aine de milles le reste du top 9 des solos. Tous alignés comme pour un nouveau départ sur un axe nord-ouest/sud-est de 150 milles de long environ. Cette dizaine de concurrents se tient en moins de 100 milles, à 1200 milles du but. Tout est possible, même si on connait les ressources et la capacité d’Alex Ozon à pousser avec un plaisir non dissimulé son Sapristi à son maximum. Là encore, l’état des voiles, des tangons et des marins fera aussi la différence sur cette dernière ligne sans doute pas très droite vers la Martinique.
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Mots du large du 7 février
Frédéric Nouel et Denis Lazat (Fondation de la mer) : un joli texte, comme toujours, texte qui va sans doute parler à tous les régatiers, tous les marins…
Tout va bien à bord de Fondation de la Mer.
Comme disait mon Grand Père, une manœuvre réussie, c'est une catastrophe
évitée.
N'exagérons rien. Une manœuvre ratée n'a pas toujours des conséquences dramatiques. Mais tout de même ! Une manœuvre ratée peut très bien se terminer avec une voile déchirée, un spi qui chalute, un tangon cassé ou une manivelle qui passe par-dessus bord. Et ce qui n'est pas grave quand nous sommes à l'entrainement dans les Coureaux de Groix devant Lorient
peut rapidement prendre une autre dimension lorsqu'on est seul pile au beau milieu de l'Atlantique.
Alors nous sommes particulièrement prudents lorsque nous devons effectuer une manœuvre un peu chaude.
Aujourd'hui c'était un empannage sous spi dans la brise.
Cette manœuvre que nous avons effectuée de nombreuses fois et qui ne pose en général pas de problème particulier par beau temps et mer plate peut vite se terminer par un départ en vrac et le mat dans l'eau.
Aujourd'hui la mer était déjà assez formée avec une houle qui nous prenait parfois pour de longs surfs et le vent soufflait bien 25 nœuds établis. Le type de conditions qu'on adore mais qu'on commence à prendre un peu au sérieux.
Alors on répète l'enchainement souvent répété avant de se lancer, posément, étape par étape. Chacun sait ce qu'il a à faire. Les bouts qu'on prépare, les écoutes qu'on pré-règle, on est en position, allons-y.
Et là comme par miracle tout se déroule exactement comme prévu dans un timing parfait : le spi est bien stable, on brasse le tangon et on amène le bateau plein vent arrière.
Le bateau part un peu en survitesse sur une vague, le vent relatif un peu plus faible le rend plus maniable. Profitons-en. Nous déclenchons l'empannage. C'est le moment délicat. Le bateau file et déroule son sillage soyeux. Le temps semble se suspendre. La bôme passe d'un bord à l'autre en douceur. Le spi prend aussitôt le vent sous la nouvelle amure.
A la barre c'est le moment de tous les dangers. Va-t-il se dégonfler, se mettre à battre, exprimer des velléités d'enroulement autour de l’étai ? Sur-concentré, je garde à la barre le bateau sous le spi tandis que Frédéric sur l'avant du mât lance le passage du tangon. Celui-ci pivote, vient reprendre sa place sur le mat. j'entends un clic définitif, Fred me regarde et tend un pouce vers le haut.
On brasse, on sécurise et on reprend la route.
Ca c'est fait. La manœuvre et terminée. Je repasse la barre au pilote automatique. C'était le bonheur du jour, un bon moment à la dimension toute esthétique.
Ah oui, parce que je ne vous ai pas dit mais tout ça se passait à plus de 10 ou 11 nœuds, dans la nuit noire, sous la lumière douce du feu de hune qui inonde le pont. La scène, comme celle d'un concert de rock, était striée par les éclairs blancs de nos frontales.
Denis
A bord de Fondation de la Mer
Yann Jestin (Vari) : Ce qui est passionnant dans le solitaire c'est la gestion globale de la course
Dimanche soir fin du week-end.
Hier samedi j'ai fait la vaisselle et le ménage à bord pour le changement de locataire... Qu'est-ce que tu dis Ginette? j'aurai pas dû, on reste deux semaines !? ah bon...
Plus sérieusement, après l'épisode pétole de jeudi, le vent est revenu... un peu trop par moment, les grains peuvent être violents comme celui à 35 nœuds qui a propulsé VARI à 18 nœuds, pas de casse.
La mer est saccadée, la nuit dernière j'avais l'impression d'être un skieur sur une piste de ski de bosse.
Vers 2 h du matin,25 nœuds de vent, un bruit différent sur le pont: rupture d'une pantoire de tangon, changement de tangon sur le deuxième bras en priant pour ne pas partir au tas à ce moment-là, opération réussi! Mais le deuxième bras sans doute mal réglé s'est effiloché (ragage) en moins de 30 minutes donc affalage rock'n roll du spi.
Je me suis demandé ce que je faisais sur le pont d'un bateau au milieu de l'Atlantique à 3 h du matin, seul, trempé et bien fatigué… ;-))
Aujourd'hui, le vent reste soutenu, je navigue sous GV + foc, il y aura sans doute un envoi de spi vers minuit si ça se calme un peu.
Ce qui est passionnant dans le solitaire c'est la gestion globale de la course, la nav, les réglages, les manœuvres, l'énergie à bord, (le marin en fait partie), savoir ou mettre le curseur performance/ préservation du bateau.
En solitaire, il n'y a pas de problème, il n' y a que des solutions à trouver...
On commence à apercevoir des sargasses isolées, et le premier poissant volant a atterri sur le pont hier soir.
Il reste encore une très grosse semaine devant, dès cette nuit il y aura école
Yann