Le récit du démâtage d'Hugues Ansart
Le 1er février dernier, Hugues Ansart (La mer est ronde) démâtait à 200 milles des Açores. Il nous raconte en détail sa triste mésaventure.
Rappel des Faits
Date : le 1er/02 :2022
Heure : aux alentours de 16h30
Lieu : 34°33N 27°36W
Skipper : Hugues Ansart
Cela fait plus de 2 jours que nous avons franchi la ligne de départ, la difficulté des conditions météorologiques a été crescendo. Même si le vent reste modéré, de 20 à 28 nœuds, la mer formée rend la situation musclée. Le bateau est cependant stable et file entre 9 et 12 nœuds, sous spi médium, 1 ris, tribord amure.
J’étais à la table à carte, à somnoler certainement. Un départ au lof me sort à peine de ma léthargie, tandis que le pilote rétablit seul la situation. Cependant en rétablissant la situation celui-lui abat trop et un premier empannage intempestif suivi immédiatement d’un deuxième me fait monter sur le pont. La GV est bloquée à contre dans la bastaque tribord. Je choque le spi, et tente en vain de libérer la bôme coincée. Je lâche alors la bastaque tribord et la GV se libère violement, mais tout semble ok à ce moment. Je commence à étarquer à nouveau la bastaque, mais avant de la raidir je sens le bateau accélérer et le spi, bien que choqué, se regonfler. Le mât craque et tombe en 3 morceaux.
L’écoute de spi s’est, elle, retrouvée bloquée et rebordée malgré moi… ? Pas le temps de l’analyse, il faut agir. Aller vite chercher le coupe boulon et une scie à métaux au passage. Sur le pont à nouveau je tente de remonter le mât. Le but est de récupérer les voiles. Entre 2 morceaux de mât je coupe les drisses et force sur la GV pour la faire remonter à bord sans le mât, rien ne bouge. Idem pour le génois. Le haubanage enchevêtré bloque l’ensemble. Avec la pince monseigneur, je coupe chaque câble. A deux mains cela semble impossible, il est nécessaire de faire appuis sur le pont et à l’aide du poids du corps sur le manche de la pince sectionner chaque hauban puis l’étais. Alors seules les voiles retiennent le haut du gréement au bateau et les barres de flèches bloquées dans les filières. Pendant près d’une demi-heure je force sur les voiles pour les récupérer. Je vérifie les drisses à l’intérieur du mât, certaines semblent bloquées dans le carbone déchiqueté du mât. Malgré leur libération, rien ne bouge.
La solution aurait été certainement de plonger et aller libérer en tête de mât… à 2 ou 3 mètres de profondeur, au milieu des haubans drisses et étais, ballotés par les vagues, dans l’eau froide. La réflexion est vite tranchée : ne pas ajouter de catastrophe à la catastrophe.
Soucieux de garder du tissu pour un éventuel gréement de fortune, je coupe le 1/3 du bas de chaque voile horizontalement.
La nuit tombe, j’ai 30 litres de gasoil dans le réservoir plus un bidon de 10 litres, je fais route au moteur direction Santa Maria ou San Miguel aux Açores, après avoir arrimé la bôme et le morceau de mât restant.
La mer forte et de face me contraint à limiter la vitesse à 3 nœuds. Malgré ça le bateau tape à l’avant et certaines vagues me font faire des chutes impressionnantes.
Le relevé consommation de la nuit révèle rapidement que je ne pourrai joindre Ponta Delgada à 200MN au moteur seul. Environ 2 litres à l’heure soit 20 h de moteur, je ne pourrai m’approcher que de 60MN. Un gréement de fortune s’impose.
Le jour se lève le 2 février vers 8h30 utc. Un bilan des ressources me donne : une bôme fixée sur un tronçon de mât de 2m, 2 tangons, une trinquette, 1 ORC et des morceaux de voiles découpées.
Après avoir arrimé horizontalement le morceau de mât dans l’axe du bateau, le vit de mulet au droit du pied du mât je prépare un morceau de drisse restant en tant qu’étais et les 2 bosses de ris pour des futurs hauban frappés sur les cabestans latéraux et repris aux winchs d’écoute de génois.
Avant de monter l’ensemble, je fixe les 2 poulies de renvoie de spi en tête de bôme avec les écoutes de spi qui serviront de futures drisses.
La drisse/étais est reprise, après une poulie de renvoie à l’avant du bateau, sur un winch ce qui permet un mâtage facile, contrôlé latéralement par les bosses des ris/haubans. Le mât de fortune est alors dressé et étarqué.
J’essaye la trinquette mais les dimensions sont trop grandes pour mon nouveau mât de 4m. L’ORC a l’air parfaitement ajusté en voile d’avant. Pour le 1/3 de GV fait aussi parfaitement l’affaire. La GV n’est pas verticale comme son sens habituel mais horizontale. Elle a suivi la rotation de la bôme. La latte forcée tient lieu de livarde comme une sorte de voile d’optimiste, mais avec en plus un foc. Je tenterai le spi lors d’une prochaine édition peut-être.
Avec ce gréement j’avance tout de même à 3 nœuds avec des pontes à 5. La reprise de la course serait-elle alors envisageable ?
Ce gréement me permet de parcourir 100MN dans le calme, en appui sur les voiles, me permettant de dormir et manger. 15 à 20 nœuds orienté au 65° suivant les fichiers météo ma meilleure route est au 350° soit à 75° du vent. J’abandonne l’idée de rejoindre Santa Maria et me concentre sur Ponta Delgada à San Miguel. Mais je sais qu’il va me manquer du gasoil pour finir le parcours face au vent sur 130 MN.
C’est alors qu’un cargo Russe m’interpelle à la VHF. Après les échanges d’usage pour dire que tout va bien à bord, je lui demande de me ravitailler de 50l de diesel. Il me confirme pouvoir me donner du diesel marine ; Mon faible niveau d’anglais me fait comprendre qu’il n’est pas compatible avec mon moteur. Appelé par téléphone satellite par MRCC Delgada (Maritime Rescue Coordination Center) l’opérateur me confirme la compatibilité et renvoie le cargo. 3 heures après notre premier contact le cargo s’approche à mon vent pour me livrer par grue 50 litres de gasoil.
Il s’agit d’un gazier Russe de 300m de long. On est bien peu de chose à côté et la livraison du colis est délicate, nécessitant 2 tentatives, dont la première qui explose mon antenne VHF de secours.
Le petit mot « FROM RUSSIA WITH LOVE » sur l’un des bidons me provoque immédiatement une petite émotion.
J’attendrai cependant la fin de mon propre gasoil pour compléter avitailler avec le gasoil russe craignant jusqu’au bout, à 90MN de Ponta Delgada que le moteur ne s’arrête. Ceci m’aurait contraint à poursuivre ma route plus à l’ouest vers Horta uniquement à la voile pour 160 MN supplémentaire.
Le moteur n’est pas perturbé par le nouveau gasoil, tout va bien la route continue face au vent vers Ponta Delgada.
Pour réduire l’impact des vagues je remonte dans un premier temps un peu plus nord pour me mettre sous le vent de l’ile. Si le vent est peut-être moins fort je subis tout de même les ondes des vagues ayant contournées l’ile par la gauche et la droite, créant deux ondes de vagues croisées sur mon parcours. La situation n’est pas plus confortable.
J’arrive à la marina de Ponta Delgada un peu avant 14h, heure de pause déjeuner. La radio sur le canal 16 ou le 9 reste muette. L’accueil par la suite sera très bienveillant et en français.
Pendant tout ce périple, du démâtage à mon arrivée à Ponta Delgada, j’étais suivi en permanence par la direction de course de la TRANSQUADRA qui m’a confirmé, entre autres, la compatibilité du diesel marine avec mon moteur, et MRCC Delgada (Maritime Rescue Coordination Center) qui a détourné le cargo SCF MITRE pour me transmettre les 50 litres de diesel. Je remercie donc ces 2 organisations et bien sûr l’équipage du cargo SCF MITRE pour leur solidarité maritime et les belles photos transmises