Poème...
Les Transquadristes
La course
Ils se nommaient Alex, Jérôme, Fréderic, Paolo ou Olivier,
Certains portaient un sobriquet comme l’Indien, le Sanglier.
Ils voulaient traverser l’océan Atlantique.
À plus de quarante ans, l’épopée fantastique,
Pour gagner, se dépasser ou pour cocher la case,
Fièrement et toujours accolés à leur blaze
Comme une particule, un signe de noblesse,
Un défi qu’aucun d’eux indifférent ne laisse.
Des cent bateaux, chacun et tous avaient une raison,
Consommés par cette passion qui les fit fuir leur maison.
Deux années de leur vie serviraient à préparer ces jours
Où seuls ils se plieraient aux volontés des éléments toujours,
Intelligents et différents, du vent les fils, ils savaient le précipice
Ils avaient pris leurs dispositions, pour le grand sacrifice,
Si au fond retenu, dans les limbes des abysses.
Ils étaient prêts, beaux dans leur défi sans artifice,
Chaque cœur battait fort, chaque esprit était digne.
Dans moins d’un jour, ils passeraient la ligne.
Les cours et prévisions du grand maître Bernot
Résonnaient en chacun comme dans un tonneau.
Bascules, Talweg, dorsales fronts et rotations,
Décideraient des routes dans les grandes dépressions.
En pleine conscience, leur voilier préparé, renforcé,
Drisses neuves, écoutes gainées, bateau endorsé
Pour traverser et résister aux vents et aux grains,
Les alizés sans discontinuer, les joies et les chagrins.
Les parents et les proches serraient intensément,
Le père ou l’ami, ils seraient loin et tant s’aimant.
Envahis par une joie immense, impatients de sentir
La gifle du vent, le sel des embruns, le partir.
Ils seront solitaires ou à deux, mais seuls à choisir
Leurs voiles, leur route, leur sommeil, leurs plaisirs.
La première étape partirait de Lorient, pour cette flotte Atlantique,
Contourner l’île de Groix, longer la côte comme tactique.
À la sortie de Pen Men, La Rochelle et ses vaillants marins
Naviguaient devant, Jean Marc menait la flotte à bon train
Son destrier Whatelse passait la molle, il était bien parti.
Alors qu’un autre, épuisé sans le savoir, dès le début de partie,
s’endormait pour la nuit, laissant sa coque de plastique
errer sur l’océan, foc à contre, trajectoire erratique.
Mille dangers guettent le skipper, le vent, la mer et l’extérieur
Mais les échecs souvent, du corps ou de l’esprit viennent de l’intérieur.
Défaillance physique, une clavicule qui casse, une côte qui perce.
Le moral qui baisse ou le mental qui cède, comme une herse
Brise l’espoir de ceux que le sort, le corps, la psyché ou le pilote
Contraignent à l’abandon, obligent à arrêter, abandonnant la flotte.
Gorge serrée, cœur lourd, larmes fuyant des yeux incrédules,
Rouges de dépit et de regrets, comme un pendule,
Les émotions oscillent, les pensées se précipitent
c’est fini pour certains et la radio crépite,
Des autres qui partagent, compatissent et soulagent
Le copain d’aventure, lui envoie un message.
Chacun sachant au fond que c’eût pu être lui,
Et tous croyants, athées et agnostiques croyaient en lui
Et regardaient le ciel quand les violentes bourrasques,
La houle gigantesque, Neptune et ses frasques
Couchaient les bateaux et déchiraient les voiles.
Départ à l’abatée, tangon dans les étoiles.
L’ordinaire météo de Madère au Marin,
De chaudes bouffes d’air et un parcours serein.
Eole et son père agacés de leur royaume envahi,
lassés des filets, des plastiques, de l’homme et son déni
Contrariés quand l’humain brûle le charbon,
Changèrent leur routine pour laver cet affront.
L’un gonfla ses joues, l’autre sa fourche brandit
Et la mer démontée s’agita comme océan maudit.
Cette transatlantique, pour les compétiteurs sera rude
Ils goûteront du temps l’extrême turpitude.
Soit, tenter au sud l’impossible plongée,
Se frayer un chemin dans la molle outragée.
La pétole est une dame, irascible qui jamais ne pardonne
Ceux qui l’entreprenant, voudraient changer la donne.
Ou, affronter trois dépressions au nord,
Sans flancher, jamais, monter jusqu’aux Açores.
S’enfoncer dans cette belle mer croisée,
Au portant, emportées les voiles courtisées
Par un amant soufflant, le navire planait.
Surpris par d’invisibles vagues le barreur peinait.
Trop bas , il part à l’abattée, trop haut c’est le départ au lof
une seule inattention et c’est la catastrophe.
Tenir quoi qu’il en coute ses choix stratégiques.
Ne pas sombrer dans un destin tragique
Aller la haut au-dessus du trente cinquième parallèle.
Ne pas céder trop tôt, pour déployer ses ailes
Les spinnakers survivants entreraient en lice,
Quand d’autres, déchirés, laissés en sacrifice,
Attendraient en fond de cale les aiguilles du voilier
Points de drisse, d’écoute et d’amure par un bout liés.
Avant le voir, le sentir annoncera la terre,
Sillon jalonné de sargasses en parterre,
La Montagne Pelée émergera de nulle part
La joie, les pleurs, le souffle entravé de toutes parts.
Quelques milles encore, et la terre promise,
L’ultime récompense lui sera remise
Les joues riantes de ses larmes léchées
Le cri jaillissant de sa gorge asséchée,
Déchirera l’éther de l’antillaise douceur
Il franchira la ligne, épuisé, mais vainqueur.
Philippe T.
Un immense merci à Philippe Triem pour ce superbe poème !