édition 2024 - 2025 La Turballe - Marseille - Madère - Martinique

Trajectoires en entonnoir

Les sillages des concurrents de la Transquadra Madère Martinique dessinent un magnifique entonnoir (si tant est qu’un entonnoir puisse être magnifique… ?) vers l’arrivée. Caroline Petit et Emmanuelle Blivet (Moogli) se sont elles aussi résignées à quitter leur route sud devenue depuis 2 jours une réelle impasse.
Les cadences accélèrent, un peu. Les classements restent en revanche assez stables, tandis que les messages du large n’en finissent pas raconter le plaisir et les bonheurs « simples » de la navigation sous le soleil exactement.

Patrick Morvan et Guillaume Pinta (Team BFR Marée Haute) : les Dieux sont avec nous
Les Dieux sont avec nous depuis hier matin : du soleil, du bon vent, ciel magnifique, de rares grains pas méchants et toujours bien négociés par Patrick, de la lune (super la lune car les nuits sont longues).
Les vitesses des bateaux sont proches et c'est sympa d'avoir des points de repères la nuit quand la lune n'est pas là. Nous faisons donc de bonnes moyennes avec notre grand spi asymétrique et 1 voir 2 ris dans la grand-voile. Nous avons dû barrer presque tout le temps : Hal (n'est-il pas ?) est à la peine au-dessus de 20 nœuds sous spi. Pour l'aider à  cette allure, le chantier de ce matin a été de peaufiner ses réglages et, sans être extraordinaire, il y a une nette amélioration de notre trajectoire dans les vagues.
Nous espérons donc nous faire un peu plus seconder dans les nuits à venir.
C'est tout de même extraordinaire d'enchaîner autant de miles sous spi et sous le soleil.
On a tellement de tout cela maintenant que c'est bon de le partager avec vous.
Nous poursuivons la route sur notre bateau en parfait état.
A demain
P&G

Arnaud Vuillemin (Jubilations Corses) : un petit moment de bonheur « simple »
La navigation est plus douce, 17 nds de vent à 160° : c'est tranquille. Le bateau fait sa route tout seul. Parfois un grain fait varier la force et l'orientation du vent : on adapte, on corrige. Il n'y a pas beaucoup de manœuvres, alors on s'occupe : aujourd’hui douche !! L'eau est meilleure, c'est plutôt agréable puis vêtements propres. J'ai même ouvert ma bière que j'ai savourée au soleil sur mon pouf en écoutant de la musique 70's aux écouteurs à réduction de bruit avec vue sur la mer bleue mouchetée de moutons : un petit moment de bonheur simple... pas si accessible que ça finalement ce bonheur… Il faut être en solitaire au milieu de l'Atlantique...AHAHAH
A 19H30 je passe les 1000MN restants. Presque rien…


Frédéric Nouel et Denis Lazat (Fondation de la mer) : la poésie des fichiers météo
Tout va bien à bord de Fondation de la Mer
Étant donné qu'il s'agit là du principal sujet de préoccupation de tous les concurrents avant et pendant la course, ainsi que le principal sujet de conversation avant, pendant et encore longtemps après, permettez-moi une petite digression sur le sujet de la météo.

La Météorologie, selon l'Almanach du Marin Breton (édition 2021), c'est la science qui nous dit là où le vent aurait dû être!
Jamais ceci ne m'a semblé plus vrai que pendant cette course!

Je ne serais pas très honnête si je disais que l'heure de la météo est toujours un moment sympa. Non: ça c'était avant, longtemps avant, du temps ou le réchauffement climatique ne dérangeait pas les grands flux de la planète, du temps ou on finissait toujours par trouver les alizés, qu'ils soient plus ou moins profonds, du temps où nous étions tous en maillots de bain dans le cockpit essayant de deviner la météo marine derrière le crachoti d'une BLU dont nous avions posé l'antenne sur la bôme.

Je ne serais pas très  honnête non plus si je passais sous silence les moments de déconvenue que Frédéric et moi avons partagés devant notre écran à l'heure de la sortie de certains fichiers. Nos visages se sont décomposés lorsque nous avons réalisé une grosse poignée d'heures seulement après le départ que la route du grand sud se fermait peu à peu de manière certaine, et que si nous nous entêtions dans notre option certes un peu extrême, tous nos petits camarades seraient repartis avant que nous arrivions au Marin !

Mais quand on navigue en double la récupération des fichier météos et les infinies combinaisons de rêves et de possibles qu'ils apportent est quand même en général un bon moment.

L'équipage du bateau se soude devant l'écran autant que pendant les manœuvres. On commente, on interprète, on se challenge : "oui, mais si la dépression remontait vers le nord un peu plus vite que prévu ?", "oui mais si nous parvenions à traverser cette petite bulle sans perdre trop de temps, après, quel boulevard nous aurions devant nous !

C'est un réel échange, un véritable partage. A ce point que l'on ne peut s'empêcher d'avoir une pensée émue pour nos amis en solo. Car ils doivent connaitre parfois, seuls aussi devant leur écran, de grands moments de solitude.

Même si les romantiques que nous sommes forcément un peu à bord de Fondation de la Mer ont rêvé quelquefois d'une navigation à la Mike Birch (on va plein sud jusqu'à ce qu'on voit les premiers poissons volants, puis on tourne à droite), il faut dire que les outils de la météo ont fait tellement de progrès en 20 ans qu'il serait dommage de s'en priver. Et la puissance de calcul des ordinateurs des plus grands organismes de prévision du monde, et notamment celle de l'administration américaine, la NOOA s'exprime sur nos écrans, au beau milieu d'un océan
de barbules.

Du coup, c'est là que se dessine une trajectoire, plus ou moins réussie. C'est là que se confrontent tactique et stratégie, là encore que se dessinent les passages dans les îles et les petits contre-bords malins.

On lance les routages. On regarde avec admiration les isochrones qui envahissent l'écran et trouvent sans hésiter (eux !) le meilleur chemin vers la Martinique. Tantôt pommes de discorde, tantôt outil de cohésion, ces moments partagés autour de l'écran deviennent des moments privilégiés.

Il s'instaure au fil des jours une véritable poésie des fichiers météo (ok, parfois peut-être aussi une overdose!), Et les gribs se transforment en sillages, et c'est ainsi, alors que nous sommes encore bien loin des côtes, ayant à peine fait un peu plus de la moitié du chemin, que nous pouvons déjà vous annoncer une heure estimée d'arrivée de manière assez précise: sous réserve que le vent soit bien là où il devrait être!
Denis
à bord de Fondation de la Mer

Alex Ozon (Sapristi) : on vous envoie du rose et du bleu
Tout droit, yapa à discuter !
On se rapproche doucement, le vent n'était pas fou et compliquait les choses pour bien faire porter son spi. La mer toujours croisée n'aide pas. Dès que le vent passe à 16 mieux 17kts c'est plus facile... on espère un peu plus de vent pour finir en s'éclatant. LA route nord, clairement, fortement déconseillée pour le fun le plaisir et les runs de oufs.
Mais bon ça reste une course et il fallait faire des choix.
La nuit va être un peu plus rapide avec sûrement des grains humides et basculants.
On vous envoie du rose et du bleu de l'océan et Lili la licorne vous embrasse tous sans exception.
On est en course poursuite avec Paolo qui fait une course remarquable et bien sûr notre Pierrick, ah celui-ci !!!
Ensuite le gros paquet deu milieu et d'autres paquets plus isolés
A très vite, Alex qui Sapristoche au mieux ki peut

Pascal Bernebe et Eric Chalaux (Pour Aster bretagne) : gestes écoresponsables
Côté Nature depuis ASTER Bretagne
Cette Transquadra est pour moi, géographe, qui travaille pour une structure publique œuvrant pour l'amélioration de la qualité des eaux, la biodiversité et la prévention des inondations, est une escapade, une bouffée d’oxygène. Cette structure, le SyAGE opère sur le sud-est de l'île de France protège les rivières qui aboutissent toutes dans l'océan. Depuis 10 jours Pascal et moi, traçons un long sillage sur l’Atlantique qui est le réceptacle de nombreuses pollutions continentales, eaux usées, métaux lourds, et plastiques, comme on en croise ces jours-ci, hélas malgré l'immensité océanique. Attention fragile !
Par ailleurs on y observe déjà au 26ème degré de latitude nord les premiers bancs de sargasses, ces algues de surface qui prolifèrent à la surface de l’Atlantique, à la fois dopé par le réchauffement climatique, mais aussi par les pollutions agricoles comme celles du Brésil.  Cette Transat met aussi en avant les changements dans le positionnement des masses d’air, avec un alizé plus faible et bien plus au sud qu'habituellement en cette saison, tout comme cette immense barrière de basses pressions et marais barométrique sans vent, qui barre totalement la route directe entre Madère et la Martinique et que nous sommes obligés de contourner par le nord. En 2018 lors de la précédente édition, sur "Passager du Vent 2", j'étais passé 1600 kilomètres plus au sud à la fin de la première semaine de course, et ma polaire était moins sollicitée que cette année. Lors de la Transat Jacques Vabres en novembre 2021, les concurrents ont connu une situation météo similaire.

Côté biodiversité il y a outre les sargasses, les dauphins, qui n'aiment pas trop le plastique, et le poisson volant très répandu, et que l'on n'a même pas besoin de pêcher car il vient se poser sur le pont, comme cette nuit, beau spécimen, que nous avons mangé à midi !  Exquis !  

Aussi sur ces sujets j’ai une pensée pour les collègues du boulot qui font un métier plein de sens au service de l'eau, bien commun de l'humanité, et protègent notre océan. Avec Pascal nous conseillons à tous les terriens les gestes écoresponsables pour notre planète !
Éric et Pascal de Pour ASTRER Bretagne.


Jean-Yves Bonsergent et Paul Codron (Ruban vert) : barrer sous spi dans 25 nds de vent dans des vagues de 3m
Hier je vous disais que l’on rentrait dans la zone de grande glissade… et bien on y est complètement ! La journée est magnifique, le soleil est au rendez-vous et les panneaux solaires fournissent toute l’énergie possible. C’est le sud ! Génial ! On était cette nuit avec le spi lourd sous 25 nds de vent et maintenant on est passé sur le beau et grand spi Ruban Vert car le vent a baissé à 20 nds. Paul s’éclate dans de longs surfs. Le bateau couine sous la pression des écoutes mais tout tient. Ce matin au moment du changement de spi, on a vérifié drisse, bras et écoute… Impec. Juste un anneau de friction à changer. Pour bien comprendre, sur une course longue comme celle là, la casse matériel est fréquente. La drisse c’est qui tient le spi en haut du mat et si elle se rompt c’est plusieurs heures de perdues. Je pense qu’avec le grand spi, on est un peu en surpuissance par rapport au bateau…. Mais on est en course et on vit au rythme des classements.
Cette nuit a été une grande première pour moi. Celle de barrer sous spi dans 25 nds de vent dans des vagues de 3m. C’est bien de cette mer qu’il est difficile de barrer. Autant j’adore barrer le spi par temps léger ou médium mais là je dois être humble, je n’ai pas beaucoup d’expérience. Je laisse donc le premier quart à Paul. 3 heures après, c’est à mon tour… Je demande à Paul comment ça se passe. Il me répond : « impec, il suffit de garder la lune dans l’axe de l’extrémité de la bôme et ne pas se faire embarquer par les vagues. Allez salut je vais me coucher ! ». Oups… me voilà à scruter dans la nuit cette lune pour la conserver dans l’axe de la bôme… sauf que 1/4h après que Paul se soit couché, la lune avait disparu à l’horizon. Plus de lune…. Me voilà en train chercher une étoile qui pourrait m’aider. A ça y est, j’en ai une ! juste sous la bôme à coté du mat. Super ! Je la regarde fixement et je cale ma trajectoire pour qu’elle ne s’éloigne jamais. C’était sans compter sur les nuages qui avaient décidé de faire cache-cache avec les étoiles et d’un seul coup, plus d’étoile. Panique, il faut que j’en trouve une autre… En fait voilà en résumé à quoi à ressembler ma nuit. Explosé de fatigue au bout de 3 heures. Allez Paul, c’est à toi ! Moralité pas d'embardée et quelques places de gagner au classement. Ca valait le coup ! … et ce soir on remet ça…. Le plaisir de la régate. On est fous !
Sinon nos barbes poussent, notre alimentation est rapide (pas facile de cuisiner dans ces conditions) et le sommeil réparateur par petite tranche. Et le moral toujours au top !
A très vite pour la suite
JY et Paul